6e Conférence

ANTHROPOLOGIE.
LES COLLECTIFS ANARCHO-GREGAIRES. 6e Conférence

Je poursuis aujourd’hui l’examen de populations qui peuvent présenter les traits d’une organisation AG et correspondre au modèle établi à partir des trois dimensions fondamentales de l’égalité, du partage et de l’immanence. Après avoir considéré les Inuit, je décrirai une population très éloignée dans l’espace et différente à bien des égards, les Palawan des Philippines. J’ai étudié cette culture et cohabité avec différentes communautés de cette ethnie depuis 1970, j’y ai fait de longs séjours et j’y retourne encore presque chaque année. Mon dernier séjour parmi eux date de juin et juillet 2012. J’ai également publié quatre ouvrages et environ vingt-cinq articles qui les concernent directement . Disons que je les connais assez bien.
Mais ce n’est pas uniquement parce que je suis un spécialiste de cette culture que je les choisis. C’est d’abord parce que leur ethnographie m’a conduit après de longs détours à une découverte majeure, en tout cas pour moi. Or celle-ci n’est survenue qu’après m’être rendu compte que cette population de l’Asie tropicale possédait les traits qui caractérisaient le mieux sur le plan culturel et sociologique les Inuit du cercle polaire. Entre les deux existait une similarité frappante, d’autant plus étonnante que sous d’autres aspects ces deux cultures n’avaient rien en commun. Séparées depuis des dizaines de milliers d’années elles avaient suivi des routes migratoires divergentes, s’étaient adaptées à des milieux complètement différents, parlaient des langues non apparentées. Les premiers étaient de purs chasseurs, les seconds étaient agriculteurs, au moins à mi-temps. Et pourtant la ressemblance de leur vision du monde, des traits similaires de comportement, une même façon d’organiser leurs rapports interpersonnels, les rapprochait de manière me semblait-il stupéfiante.

Les Palawan
La population palawan, environ 45 000 personnes, porte le même nom que l’île où elle se trouve, dans l’archipel philippin. Elle en occupe toute la partie sud, très montagneuse.

[carte ]

Ce sont des agriculteurs sur brûlis, mais aussi des chasseurs, pêcheurs, collecteurs de produits marins et forestiers. Ils parlent une langue de la famille austronésienne, différente mais proches des langues voisines de l’archipel philippin. Leur subsistance est traditionnellement fondée sur les tubercules (manioc surtout) et le riz de montagne cultivé en champs sec et les produits de la chasse et de la collecte. La population vit en habitat dispersé, avec de petits hameaux de quelques maisons séparés les uns des autres par des étendues de brousse et de forêt. Leur religion est généralement qualifiée d’animiste –bien que les termes de « religion » et d’ « animisme » me paraissent discutables–. Il faut aussi préciser qu’ils n’ont aucune unité politique et que chaque vallée forme un sous-ensemble culturel, présentant des traits distincts, notamment sur le plan des rites et des croyances, sans que ces différences n’annulent l’homogénéité linguistique et culturelle de l’ensemble de ce groupe ethno-linguistique. Leur environnement est dominé par la forêt et une incroyable diversité d’espèces de plantes à fleur et de cryptogames. Autant les Inuit sont une civilisation du minéral et de la mer, les Palawan sont une culture du végétal et montrent une orientation plus terrienne que maritime.
J’ai commencé par étudier « l’organisation sociale » de cette population en me concentrant sur deux aspects principaux : la parenté et la résidence, c’est-à-dire le systèmes des relations sociales d’une part et la morphologie sociale (comme disait Mauss) d’autre part. Exactement, soit dit en passant, ce que D. Damas (1963) préconisait de faire, et a fait, sur les Inuit. A l’issue de cette première étude, j’avais des sentiments mélangés. J’avais compris un certain nombre de choses qui ne me paraissaient pas triviales et me permettaient de définir des normes de comportement et le principe des agrégations locales de voisinage. D’un autre côté ce que je cherchais, en fonction de mes attentes d’anthropologue fonctionnaliste et structuraliste, restait introuvable. Ma frustration venait en particulier de l’impossibilité à définir des groupes de parenté ou de résidence qui se perpétuaient en maintenant entre eux un système d’échanges (d’épouses ou de biens). Je n’arrivais pas non plus à satisfaire aux exigences de ce qui était le mot d’ordre de l’époque : le politique. Car qui dit politique dit pouvoir. De pouvoir je n’en trouvais pas, et d’unités sociales, hors la famille domestique et l’association temporaire de quelques familles, je n’en voyais aucune. Tout cela manquait de netteté, de structure pour tout dire. Pour aggraver les choses j’échouais à faire tourner le système culturel sur un principe ou un phénomène pivotal. Des collègues plus chanceux que moi, me semblait-il, en avaient trouvés et décrits ailleurs : groupes lignagers, échanges cérémoniels, alliances matrimoniales, grands rites de passage, castes, guerres, classes d’âge, sans compter les scoops ethnologiques comme la chasse aux têtes et le cannibalisme. Mes Palawan n’échangeaient même pas des coups de poing et leurs cérémonies étaient brèves et sans grand apparat –à l’exception notable d’une petite région découverte plus tard et dont j’ai décrit en son temps la vie cérémonielle extrêmement riche. En désespoir de cause j’ai intitulé mon premier ouvrage Une société simple, (Macdonald 1977) à défaut de dire « une société introuvable». Ou alors c’était l’ethnologue qui était incapable de la trouver. Il m’a fallu une rencontre (purement livresque) avec les Inuit et une réflexion nourrie par des lectures anthropologiques pour réaliser que cette « absence de — » pointait vers quelque chose d’autre qui était tout simplement l’absence de « société » et la présence d’une forme d’organisation que notre ethnologie et notre sociologie avaient été incapables d’identifier et de définir, à tout le moins de reconnaître comme une catégorie complètement distincte d’organisation. Il m’a fallu plus de trente ans pour arriver à cette conclusion. Je vous laisse le soin d’en tirer les conclusions qui s’imposent….

Parenté : un système de relations dyadiques et un système élémentaire d’assignation de statut
Je ne sais pas si on peut dire que l’organisation collective des Palawan est fondée sur la parenté, parce que la parenté dans leur cas est surtout un système de classification et d’assignation des statuts. En cela il ne diffère pas d’autres systèmes de parenté ailleurs dans le monde. Les termes de parenté opèrent une classification des positions généalogiques et les personnes sont ainsi mises dans les cases appropriées, par des termes de parenté. A chaque terme de parent correspond un statut. Ainsi le frère du père ou de la mère est mis dans la case « oncle », il a un statut par rapport à celui qui l’appelle ainsi, « oncle », différent du statut correspondant à « cousin ». Le premier est un aîné proche à qui l’on doit du respect ou de la déférence, le second peut être une personne de même génération que l’on traite familièrement. Cela est banal et pas très exotique. Ce qui l’est, dans le cas des Palawan, c’est que cette classification est la seule qui existe dans tout le champ « social ». Il n’y a guère d’autre statut ou rôle disponible, à part celui de juge de droit coutumier, ou peut-être de chaman-guérisseur, ainsi que quelques rares positions désignées par des titres, d’ailleurs tous importés de l’extérieur (autrefois panglima, plus récemment « conseiller municipal », plus récemment encore « chef tribal ») et ne correspondant à aucun statut réel dans le groupe. En bref la parenté englobe tout le monde, il s’agit d’un système inclusif. Deux Palawan qui se rencontrent loin de chez eux et qui ne se connaissent pas vont commencer par ratisser leurs réseaux de parenté respectifs et quand ils auront trouvé un parent commun ils sauront alors dans quelle position ils se trouvent réciproquement. Par exemple ils trouvent que X est « oncle » de A et « cousin » de B, ce qui signifie que B est « oncle » de A. A partir de ce moment, non seulement ils arrivent à se placer dans un même réseau de parenté, ils ne sont plus des « étrangers » (taqaw leyn) mais des parents, et surtout dans une relation d’aîné à cadet.
Ainsi toute relation dyadique porte un terme de parenté (ou deux termes réciproques) et à chaque terme correspond un statut, ou une « valeur » relationnelle qui se mesure au moyen de trois paramètres : la distance collatérale (proche ou éloigné), la différence d’âge ou de génération, le fait d’être parent par le mariage ou par le sang. Combinées deux à deux ces trois paramètres donnent un résultat qui peut se mesurer en termes d’affection (ou de confiance) et de déférence. Il s’agit d’un système élémentaire d’assignation du statut et, par là, de mise en ordre des relations interpersonnelles. En gros, plus on est proche, plus l’affection grandit et la déférence avec; plus on est loin sur l’arbre généalogique, plus la confiance diminue et la déférence s’atténue. Par exemple la sœur de ma mère qui est une « tante » (minan) est dans une position de consanguinité proche et de séniorité: je lui dois affection et déférence. La fille du frère de mon épouse est dans une position d’alliance qui est proche mais elle est d’abord une cadette. Elle est ma nièce (kemenaken), je lui dois de l’affection et j’en attends une certaine déférence. Le frère de mon beau-père est un allié proche (oncle de mon épouse) de génération supérieure. Je dois doublement faire preuve de déférence à son égard : en tant qu’allié consanguin de mon épouse et en tant qu’aîné. Je lui applique un terme spécial (ugang). L’époux de ma tante (mettons la sœur de mon père) est un allié certes, mais il a épousé ma parente par le sang. Je lui dois de la déférence en tant que je suis son cadet mais pas en tant qu’allié. Je lui applique donc simplement le terme d’ « oncle » (maman). On le voit, la terminologie reflète des différences de statut ou, si l’on veut, qualifie la relation entre le locuteur et celui à qui il s’adresse.

Réseaux de parenté plutôt que groupes de parenté
Contrairement aux systèmes dits « unilinéaires » de patri- et matri-filiation, la parenté Palawan ne produit pas automatiquement des groupes disjoints deux à deux. Comme il s’agit d’un système dit « cognatique » ou « indifférencié » (avec une terminologie de type « eskimo ») il n’y a pas de groupe de filiation, c’est-à-dire « d’assignation automatique à la naissance de l’appartenance exclusive à un groupe de parenté en fonction du sexe du parent » selon la définition classique de Rivers [REF]. Cela revient à dire aussi que chaque personne, sauf les germains, a un ensemble différent de parents par le sang. Les « parentèles » sont des ensembles de parents par le sang et par le mariage qu’un Ego reconnaît autour de lui jusqu’à un certain degré de collatéralité (chez les Palawan c’est en fait le 2e). Chacun se reconnaît donc une parentèle différente mais comportant des membres appartenant aussi à la parentèle de quelqu’un d’autre. Moi et mon cousin avons des parents consanguins, membres de la parentèle, communs mais mon cousin a des parents qui ne sont pas les miens et vice-versa. Le résultat de tout cela est que l’on n’aboutit pas à une partition de la société en groupes disjoints deux à deux. La parenté dans ce cas-là ne sert pas à structurer la société comme un tout formé de parties distinctes (comme les pièces d’une machine) mais à se repérer dans des réseaux de relations dyadiques, à créer des liens orientés.
Il faut ajouter que la mémoire généalogique est faible. On oublie déjà le nom de ses grands-parents et il est difficile de remonter à plus de trois générations. Nous ne sommes donc pas dans une culture fondée sur l’ancestralité. Les individus ne se repèrent pas sur des ancêtres fondateurs de clans ou de lignages, comme c’est le cas ailleurs, et leur pedigree ne remonte pas à plus de deux ou trois générations maximum. Les ancêtres (kegunggurangan) forment un ensemble aux contours vagues. Ils sont invoqués collectivement dans les prières et les rituels et on peut traduire le terme par « morts » ou « défunts » aussi bien que par « ancêtres. Dans certains cas on adresse une prière à des parents décédés récemment .

Au final nous obtenons trois résultats importants.
1- Le premier c’est que tout le monde se situe à l’intérieur d’un vaste réseau de parenté commun—du moins en principe—où chacun peut se situer par rapport à l’autre. On a affaire à un système inclusif qui permet à chacun d’être virtuellement relié à tous les autres membres de la communauté régionale, voire ethnique.
2- En second lieu on a des groupes mais qui sont formés sur la base de considérations qui ne ressortissent pas entièrement à la parenté ou qui ne sont pas automatiquement déterminées par une position généalogique. Ils se forment par une sélection libre de partenaires à l’intérieur d’un grand nombre de choix possibles.
3- Enfin et surtout on obtient une structuration des relations interpersonnelles fondée, comme on l’a vu, sur la distance généalogique, l’alliance ou la consanguinité, et le rapport d’âge ou de génération.

Fabriquer de l’égalité avec de l’inégalité
Le grand paradoxe sur lequel j’attire votre attention maintenant est que ces relations dyadiques sont toujours asymétriques : la différence d’âge ou de génération ajoutée à la position d’allié ou de consanguin oriente toujours la relation qui est une relation de déférence. Elle au maximum entre proches et elle s’atténue au fur et à mesure que la distance croit. Cela veut dire par exemple que je dois plus de déférence au frère de mon père qu’au cousin au 3ème degré de mon père (qui est trop éloigné et donc une sorte de quasi-étranger). Or cette société est radicalement égalitaire, comme je le préciserai plus loin. L’égalité résulte donc de relations qui sont au fond inégalitaires ou, plus exactement, asymétriques. Il faut que l’un des interlocuteurs soit en position de donner ou de recevoir de la déférence. Pourquoi la société est-elle égalitaire alors ? La réponse est simplement que dans ce système, la relation d’asymétrie n’est pas transitive. Dans l’armée par exemple elle est transitive : un général est supérieur à un colonel et un colonel à un capitaine et donc un général est supérieur à un capitaine, même appartenant à des corps d’armée différents. Nous avons une relation d’ordre partiel, donc une hiérarchie. Chez les Palawan la relation de déférence n’est pas transitive parce qu’elle est annulé par la distance généalogique. Un oncle très distant (par exemple le fils de la fille du fils de la fille de la sœur du père du père du père de mon père) n’est presque plus un oncle, et un parent au deuxième degré de mon conjoint n’est plus un allié. Ils restent des parents mais avec une valeur de supériorité ou d’infériorité neutralisée par la distance. Ainsi se trouvent réunies deux conditions de ce que l’on pourrait appeler « l’ordre grégaire» : la gestion des conduites entre personnes (réglées par la déférence et l’affection) et l’autonomie de l’individu qui ne reçoit d’ordre de personne.

Les groupes locaux
En dehors de la famille domestique ou nucléaire, qui est l’unité de base du dispositif et qui a la capacité de subvenir à la quasi totalité de ses besoins matériels, on trouve une forme de groupement qui est d’ordre spatial et humain, que j’appelle établissement, hameau ou groupe de voisinage. Il manifeste une certaine stabilité dans le temps et sa composition suit certaines règles. Cependant son personnel varie et son effectif est très fluctuant. Cet établissement qui comporte de trois à dix maisons environ (plus dans certaines régions où il va jusqu’à former de vrais villages) constitue le milieu dans lequel se déploie l’essentiel de la vie collective. C’est le théâtre de la vie quotidienne jour après jour, mois après mois, année après année. Les voisins qui sont aussi des parents se livrent à toutes les formes d’interaction constituant la vie du groupe : accomplissement de rituels, séances de discussion pour régler des litiges, soins aux malades, fêtes, échanges de nourriture, entraide, visites de maison à maison, espace de jeux pour les enfants et, bien entendu, intense circulation de commérages, rumeurs et racontars de toute espèce.
Comme il s’agit du seul groupement concret d’individus interagissant avec une certaine intensité et une certaine continuité, j’ai pensé qu’on pouvait le définir comme une corporation, une personne morale. Cela n’a pas été possible. J’ai suivi sur au moins trois décennies le destin de ces établissements et je suis arrivé à la conclusion qu’il s’agissait d’un agrégat sans aucun lien permanent ou centre de pouvoir, sans identité claire, ni chef, ni sentiment précis d’unité, ni règle d’appartenance exclusive. Il n’a pas vraiment de « territoire » même si on peut parler au sens assez lâche, de « finage », il n’a pas de limites précises, ni spatiales, ni humaines, ni temporelles. On retombe donc dans cette chose assez peu sociologique: une collection d’individus (ou de familles) qui s’assemblent à leur gré, sans dépendre d’un chef, n’ayant aucun sentiment de loyauté envers l’entité qu’ils peuvent former, ne possédant aucun symbole ou drapeau leur permettant de se rallier à la cause sacrée du bien collectif. A condition de se présenter poliment et de demander la permission en alléguant la proximité d’un parent ou la nécessité de surveiller son champ il est possible de se construire une maison et de faire partie du groupe local. Les établissements d’ailleurs sont malaisés à cartographier mentalement. Les habitations individuelles (une famille par maison seulement) sont dispersées dans la brousse ou collées les unes aux autres, sans ordre très apparent .
Des règles existent cependant et on peut discerner quelque chose qui ressemble trompeusement à un ordre social. Il y a tout d’abord une personne qui est un « ancien » (megurang), ou « leader » (pagibutën) qui nous rappelle tout à fait ce que nous disait Boas des « chefs » (pimain) inuit. Il possède une autorité ou exerce une influence mais ne peut s’attendre à ce quiconque obéisse à ses ordres. Il joue tout de même un rôle important sur lequel je vais revenir.
Le groupe local obéit à des règles de constitution qui sont les suivantes : il est composé de mini-groupes locaux, que j’appelle « atomes résidentiels» (environ deux à quatre maisons ou familles domestiques) qui peuvent en se réunissant former des groupes de dix familles ou plus (le groupe de voisinage dans son ensemble). Ces atomes résidentiels sont formés autour d’un groupe de sœurs mariées.

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La résidence uxorilocale obligatoire fait que les maris viennent de hameaux ou groupes locaux extérieurs (mais le plus souvent de la même région) et ils viennent se « rattacher » ou se « coller » à leur beau-père (littéralement « celui à qui on se colle », le pinemikitan). Ce statut est pivotal : il commande comme on va le voir une redistribution des ressources alimentaires et il est une source d’autorité. La plus extrême déférence lui est due de la part des gendres. Ce petit noyau est donc fortement constitué autour d’une relation asymétrique gendres-beau-père (ou belle-mère). Toutefois une certaine souplesse existe déjà à ce niveau car le pinemikitan (qui est aussi décrit comme le « gardien » ou le « protecteur » des filles mariées) n’est pas toujours le beau-père ou la belle-mère mais peut être un oncle, un frère ainé, un cousin plus âgé, un grand-père ou une grand-mère, habitant tous des endroits différents. De la sorte une certaine latitude est laissée au couple dès le départ, mais on reste tout de même dans un certain niveau de contrainte, les jeunes mariés ne pouvant pas aller habiter n’importe où. Une fois qu’ils ont des enfants en âge de se marier, ils prennent de l’indépendance par rapport de la belle-famille et vont éventuellement s’établir dans le hameau d’origine du mari.
L’association des atomes résidentiels en agrégats plus importants se fait en fonction de divers facteurs. Les affinités personnelles et les facteurs économiques (proximité d’une cocoteraie par exemple) jouent un rôle. Mais ce qui va déterminer en dernière instance la taille du groupe est la présence dans le groupe « quelqu’un que l’on suit », un ancien à l’autorité reconnue. Cette « autorité» ne se mesure pas à son degré de pouvoir autocratique, mais à sa capacité à faire régner la tranquillité. Des voisins viennent s’agréger à l’établissement en nombre d’autant plus grand que ledit leader ou ancien cumule les deux fonctions de juge, arbitre de droit coutumier, et de chaman-guérisseur. Il faut comprendre ici que ce personnage est d’abord un arbitre pacificateur et un guérisseur, quelqu’un qui soigne les maux des esprits et des corps. Son rôle est strictement bienveillant. Le « bon » juge est le juge indulgent qui pardonne les offenses. En tant que guérisseur, il intercède auprès des forces invisibles et protège la santé de tous. Son « autorité» repose donc sur sa capacité à protéger, guérir, pacifier et assurer la tranquillité du groupe. Rien à voir avec un donneur d’ordre ou un chef de guerre. De tels personnages à vrai dire sont rares et l’opinion publique est réticente à accorder sa confiance à ceux qui parlent bien mais punissent sévèrement. Il faut dire aussi que des talents supérieurs de guérisseur alliés à ceux de fin expert de droit coutumier se trouvent rarement réunis dans la même personne. Donc les établissements ne grandissent pas souvent.

Un système égalitaire
Je viens en fait de d’avoir défini le système comme fondamentalement égalitaire dans son principe. D’une part des relations asymétriques (entre alliés tout particulièrement) sont constitutives des noyaux du dispositif d’agrégation en ensembles coopératifs, mais sans avoir un caractère transitif qui conduirait à l’établissement d’une hiérarchie de type holiste (nous sommes bien dans des totalités non holistiques). D’autre part l’émergence d’une figure centrale d’autorité repose sur une totale absence de pouvoir au sens d’une coercition reposant sur la force. Les grands hommes (ou femmes) dans ce système sont l’objet de respect et leur influence pèse lourd mais leur statut reste celui de tout le monde. Je crois que la première condition requise, l’absence du principe corporatif allié à l’autonomie et à l’absence de toute hiérarchie, est suffisamment bien établie, pour que l’on passe à la deuxièmes, le partage.

Partage, distribution, échange, circulation
Nous retrouvons chez les Palawan des traits déjà observés chez les Inuit. Comme ces derniers les Palawan échangent, donnent, prêtent, achètent et vendent, tout en réservant pour certaines transactions le principe du partage pur. Les économies « primitives » qui ne sont pas, ou sont très marginalement, des économies de marché, obéissent à un principe bien connu qui est celui de l’étanchéité des sphères d’échange : certains biens dit « de valeur » ou de prestige ou qui ont une fonction rituelle ne s’échangent qu’entre eux, et on ne peut pas échanger n’importe quoi (des aliments, des outils) avec n’importe quoi d’autre. Beaucoup d’économies primitives connaissent une forme de monnaie sous formes de coquillages, de barre de sel, de cuivres ou autre, mais ces monnaies ne sont généralement pas douées d’une convertibilité universelle et leur usage en tout cas est soumis à des restrictions (concernant par exemple le statut réciproque de ceux qui les utilisent). L’économie Palawan était une économie non monétaire jusqu’au vingtième siècle mais certains biens comme les assiettes de faïence étaient des unités de mesure dans le calcul de la dot notamment. On retrouve encore dans l’économie quotidienne des Palawan quelque chose qui ressemble à l’étanchéité des sphères d’échange.
Un bien par excellence est l’objet de propriété individuelle (ou familiale) : le riz. Traditionnellement le riz sec de montagne (et maintenant dans certaines localités le riz de rizière irrigué ou inondée) est le produit du champ cultivé par l’unité domestique. Les semis se faisaient collectivement et donnaient lieu à un partage de nourriture (du riz de l’année précédente) mais pas la récolte (à moins que certaines familles décident de coopérer à ce moment-là). Une fois moissonné le riz était stocké dans des greniers individuels bien fermés. Il pouvait ensuite faire l’objet de transactions diverses : prêt, échange, vente.
La subsistance était assurée principalement, non par le riz, mais par les tubercules dont le manioc principalement, et divers légumes produits du champ également. Ceux-ci formaient la base du repas, avec le riz tant qu’il y en avait et avec les produits occasionnels de la chasse, de la pêche, de la collecte. Dans mon observation ces produits du champ (tubercules et légumes) étaient quotidiennement récoltés par les femmes du noyau résidentiel, donc des sœurs ou des cousines qui ensemble se rendaient tour à tour dans les champs (ou jardins) de chacune d’elles et se partageaient ainsi le produit. La base alimentaire faisait donc l’objet d’un partage ou d’une réciprocité équilibrée entre sœurs.
Les habitants de la montagne plus que les autres sont des fervents chasseurs de sangliers. La capture d’une telle proie, au piège ou avec lances et chiens, était l’occasion d’une rare consommation de viande pour le groupe. Il était dit tout d’abord que le sanglier avait été « donné » par le Maître des animaux sauvages, le Propriétaire des Sangliers, qui avait ainsi octroyé aux hommes un de ses animaux familiers. D’ailleurs on faisait des offrandes au Maître des Sangliers sous la forme de petites effigies en bois de l’animal. On procédait ainsi à un échange. La proie devait ensuite être ramenée par le chasseur qui allait l’apporter à son beau-père. Celui-ci la divisait ensuite en autant de parts qu’il y avait d’individus dans le groupe en respectant un principe d’égalité absolue (chaque famille recevait en fonction de sa taille, parents et enfants inclus, un lot de morceaux provenant de chaque partie de l’animal). L’échine était traditionnellement rôtie à la nuit tombée pendant que l’aède chantait les épopées. On retrouve là tous les éléments du partage chez les chasseurs-cuilleurs : don de l’animal aux homme par un agent extérieur à la société, division égalitaire en fonction de règles bien précises (ici la proie est apportée au beau-père ou allié de statut supérieur qui joue le rôle d’ancien dans le groupe et qui procède à la distribution des parts). Le chasseur ne peut en aucune façon garder tout le sanglier pour lui et sa famille, il est contraint à en donner au moins la moitié à son beau-père si celui-ci habite dans un autre groupe local et ramener l’autre moitié chez lui et procéder à un nouveau partage.
On remarquera tout d’abord la correspondance terme à terme des sphères de l’échange, des normes de distribution du produit et des niveaux d’organisation du groupe : entre sœurs et donc beaux-frères dans l’atome résidentiel, entre l’ancien du groupe et les autres voisins au sein de l’agrégation résidentielle plus large.

[tableau]
Niveau d’organisation Type de produit Forme de distribution
Atome résidentiel (belles-sœurs et leurs familles) Légumes, tubercules Réciprocité équilibrée
Groupe résidentiel large (beau-père-gendres)-(voisins) Gros gibier, viande Partage

Le riz, produit à part, ne fait pas l’objet de ces dispositifs de partage, sauf dans le cas d’un rite annuel de prémices où il est concentré puis redistribué dans le groupe local et à l’extérieur du groupe. Il reste cependant l’objet d’une propriété individuelle et exclusive. On peut lire dans cette division des produits (légumes et tubercules /viande /riz) et dans les règles qui président à leur distribution, l’existence d’un double mode de fonctionnement au niveau de la production (chasse et cueillette vs agriculture) et au niveau des normes. Une morale du partage habite profondément l’imaginaire palawan dans son rapport avec le monde de la forêt et de la chasse. Une autre dimension de l’éthique locale va nous permettre de mieux situer la norme de partage par rapport à celles commandées par la réciprocité équilibrée ou négative.

Dette et partage
Aux Philippines, dans l’ensemble de la population chrétienne des basses terres et de la population urbaine chrétienne, il existe une notion très répandue et fréquemment invoquée comme une des bases de la morale et des normes de conduite, c’est la notion de « dette » et particulièrement de « dette intérieure », (utang na loob), une dette de l’âme ou spirituelle, qui ne peut jamais être complètement acquittée, qui entraine une obligation perpétuelle, sans fin. Il en va ainsi de la dette contractée par les enfants à l’égard de leurs parents. Il en allait ainsi également entre le « patron » et le « client » (en général un métayer ou un travailleur agricole), relation fondamentale sur laquelle s’est construit l’édifice colonial et par suite la société moderne de ce pays.
Dans la mesure où cette notion de dette renvoie à l’idée que tout le monde doit à tout le monde et qu’il faut donner sans compter, on se rapproche de l’idée de partage. Mais dans ce cas le partage est à double sens : on doit à tous et tous vous doivent. Seulement, dans l’idée reprise par les colons et les propriétaires terriens, cette dette va dans un seul sens qui est bien entendu le leur. Les clients sont toujours débiteurs et les patrons toujours créditeurs.
La notion de dette existe incontestablement chez les Palawan et de nos jours, alors qu’ils entrent dans une économie monétaire de marché, l’omniprésence de la dette est un fait indiscutable. Toutefois la norme toujours invoquée par eux lorsqu’il s’agit de définir des rapports interpersonnels n’est pas la dette mais ce qu’on peut traduire par la « compassion entrainant le don généreux (de nourriture, d’aide) » (ingasiq). On retrouve une notion identique chez des groupes voisins marqués par l’ethos AG. C’est à cette disposition bienveillante qui doit selon tous les témoignages correspondre les transactions entre parents et voisins. Or rappelons-nous que dans cette culture tout le monde est parent. La notion renvoie clairement à une éthique du partage, toujours très vivante heureusement dans cette population, et correspond ainsi à sa forme quasi ritualisée du partage du sanglier, cadeau d’une puissance non humaine aux humains qui doivent le répartir entre eux.

Justice et non-violence
L’examen du système de justice en vigueur fournit un bon moyen de comprendre comment fonctionnent les relations interpersonnelles, comment le sujet se situe par rapport à une norme de conduite. Chez les Inuit on laissait les personnes régler librement leurs problèmes ou leurs conflits. Le rapport n’était pas médié par une instance supérieure ou une tierce partie qui prononçait un jugement final. On était dans l’immanence pure. Chez les Palawan ce n’est pas le cas. Ils ont en effet un appareil légal et juridique qui d’un certain point de vue ressemble au nôtre. Les parties en litige présentent leurs plaintes, doléances ou alibis devant un arbitre ou juge de droit coutumier qui s’appuie sur une connaissance de la jurisprudence et prononce un jugement qui peut consister à imposer une amende au coupable. Je reviendrai sur cette question et je montrerai que tout cet appareil légal et juridique est d’importation relativement récente. L’essence de ce système est d’être non pas punitif mais conciliatoire.
L’autre aspect majeur de cette organisation est d’être fondée sur le respect de la non-violence. Non seulement il n’y a pratiquement jamais d’homicides (sauf dans les cas que je citerai plus bas) mais même les coups et les bagarres sont inconnus. Les Palawan ne se battent pas, n’entrent jamais dans des confrontations violentes entre eux ou avec des étrangers. Les rares cas d’homicides violents sont causés presque toujours par des immigrants chrétiens des basses terres. Il existe à ma connaissance deux cas seulement, peut-être trois, où l’homicide est autorisé : la démence, l’inceste et des agressions répétées de la part d’un agresseur sexuel. J’ai appris ainsi la mort par strangulation d’une personne atteinte d’aliénation mentale violente. Le groupe ne pouvait pas constamment la surveiller et elle présentait un danger mortel surtout pour les enfants (elle les attaquait et les mordait). Je discutais également le cas d’un personnage violent qui avait commis il y a quelques années des exactions, et attaqué sexuellement des jeunes femmes, avant d’être mis en prison. Mes interlocuteurs reconnaissaient qu’autrefois, avant l’existence de toute force de justice extérieure, cet individu aurait sans doute été physiquement éliminé. Cela rappelle la façon dont les Inuit se débarrassait des « bullies ».
L’inceste constitue un danger mais d’un ordre supérieur : l’union sexuelle et la cohabitation d’un père avec sa fille ou d’un frère avec sa sœur met le monde entier en péril. Toute la région risque d’être engloutie sous un déluge, détruite par un tremblement de terre. Le grand dragon chtonien, le tandayag, va se réveiller et dévorer tous les habitants des environs. Le seul moyen d’éviter la catastrophe consiste à tuer les incestueux. Cela se passait ainsi jusqu’à la seconde moitié du 20e siècle. Il ne s’agit donc pas de « punir » mais de prévenir un mal plus grand. Il fallait se protéger contre un danger de proportion cosmique. La vie du groupe en dépendait. L’idée de « punition » et d’exemplarité n’est pas pertinente, pas plus que dans le cas de personnes atteintes de violentes crises de démence. Cela est aussi évocateur de l’esprit dans lequel les Inuit faisaient disparaître un dangereux membre du groupe. Tuer les incestueux n’apporte aucune gloire et son rôle pédagogique est négligeable. Son effet de dissuasion pouvait peut-être compter mais je ne connais pas de cas d’inceste chez les Palawan depuis qu’on ne tue plus les incestueux.

Une culture de la non violence
Si l’on met de côté ces cas rarissimes, la culture palawan est une culture de non violence absolue . Pour commencer il n’existe pas d’organisation de la violence. On ne fait pas la guerre, les vendettas ne sont pas permises, la vengeance même n’est pas encouragée. Il n’y a pas d’armée et pas de bataille (comme chez les Papous de Nouvelle-Guinée par exemple) et les Palawan n’ont pas d’armes, seulement des outils. Un sabre d’abattis est un outil même s’il peut être utilisé comme arme. On peut dire la même chose du marteau ou du couteau de cuisine. La non violence dans les rapports interpersonnels et collectifs est donc un fait bien établi en ce qui concerne cette population, j’ai pu le constater en plus de quarante années de fréquentation.
Il n’empêche que c’est la crainte de la violence et la possibilité d’actes violents qui motivent leur attitude pacifique, leur ethos de conciliation et de non confrontation. Cette crainte est en effet toujours invoquée dans toutes sortes de formules et clichés. On se demande rhétoriquement s’il faut tirer des fléchettes empoisonnées sur les Chrétiens immigrants qui coupent les arbres ou les représentants de compagnies minières qui polluent les rivières. La réponse vient immédiatement : non, nous mourrions tous alors, mieux vaut se tuer tout de suite. Il existe donc toujours de façon explicite ou sous-jacente une inquiétude quant à l’irruption possible de la violence. La non violence n’est pas l’absence pure et simple de la violence, mais une recherche permanente d’apaisement et un effort conscient pour prévenir son explosion au sein du groupe.
Deux questions se présentent alors et je voudrais y répondre précisément. La première est de savoir si une telle situation se présente fréquemment ou rarement. La seconde est de savoir comment créer et maintenir un état de non violence.
La réponse à la première question est généralement de présenter les cultures primitives ou tribales comme essentiellement violentes, en conformité avec l’idée populairement acceptée de la nature violente de l’homme et de son contrôle par les progrès de la civilisation. Des psychologues et des chercheurs très connus et très influents, en tout cas aux Etats-Unis, comme Steven Pinker et Jared Diamond, se font les interprètes de cette vue qui est parfaitement erronée quand elle va jusqu’à affirmer que la non violence est inexistante dans le monde primitif (Benjamin et al. 2012). Cette opinion se base sur l’existence de peuples qui sont effectivement violents ou pratiquent le combat et l’homicide régulièrement. Les Papous sont presque toujours appelés à témoigner. Il existe dans le monde mais particulièrement dans cette région d’Asie du Sud-Est, des cultures qui répugnent totalement à toute forme de violence et affirment des valeurs à l’opposé de tout ce qui chez nous est considéré comme du courage, de la bravoure, de l’intrépidité, du goût du combat. Les Chewong, une population de la Péninsule Malaise étudiée par l’anthropologue Signe Howell [REF] affirment: « il est normal et humain d’avoir peur et de s’enfuir, c’est d’être en colère qui est inhumain ». Nous retrouvons ici l’horreur des Inuit pour tout signe de colère et d’irritabilité. Une autre population de la même région, les Semai, sont réputés être la population la plus pacifique du monde et l’ethnologue qui les a le mieux étudiés, Robert Dentan, l’a parfaitement montré (Dentan 1968, 1992, 2008, 2010). Comme les Palawan ils affirment sans cesse que la fuite devant toute menace est le meilleur moyen, le plus rationnel, pour éviter d’être soi-même blessé ou tué, et il est difficile de leur donner tort ! Un voyageur de la fin du 19e siècle affirme que les Palawan de la montagne « s’enfuient comme des fous » (run away like fools) à l’approche de tout étranger. Si l’on veut trouver d’autres exemples on en trouvera justement chez des populations de chasseurs-cuilleurs comme les pygmées Mbuti, les !Kung, les Nayaka ou les Paliyan de l’Inde [REF], mais également chez des agriculteurs comme les Buid de Mindoro (Gibson 1985) . Il est tout à fait possible que les populations ancestrales qui sont passées d’Afrique en Eurasie il y a 70 000 ans ressemblaient aux populations de chasseurs-cueilleurs africains, totalement non violentes, et que Homo sapiens n’ait développé une propension à la violence intra-spécifique que plus récemment. Il est clair que le mode de vie AG semble particulièrement bien adapté à un climat pacifique, un ethos de la tranquillité et de la non confrontation. L’homme primitif agressif et sanguinaire doit peut-être être remisé dans les armoires où sont rangés d’autres mythes poussiéreux, comme le communisme primitif, le matriarcat, ou la mentalité pré-logique.
Mais, répétons-le, la non violence n’est pas simplement le degré zéro de la violence, pas plus que l’égalité n’est le degré zéro de la hiérarchie. Elles résultent d’un processus conscient de construction et de maintien. Les Palawan le font au moyen d’une éthique très fortement ancrée dans leurs mœurs et de l’inculcation de cette morale par l’éducation. Celle-ci est assez permissive sur bien des points et n’entraîne jamais aucune punition physique. Comme les Inuit ils regardent avec horreur et incompréhension des mères chrétiennes donner des fessées ou des coups à leurs petits. Peut-être que la non violence s’apprend d’abord de cette façon : ne jamais frapper personne, surtout pas un enfant. Lors de mon dernier séjour j’entendais presque tous les jours les pleurs et les cris du dernier-né de mon voisin, un petit garçon d’environ cinq ans ; il était réprimandé par ses parents parce qu’il donnait des coups à ses petits camarades. La violence entre enfants est donc strictement réprimée. Chez les Palawan on ne se bat pas et on surveille très étroitement le comportement des enfants à cet égard. Il est impensable d’entendre un père demander à son petit garçon si au moins il a bien rendu les coups reçus d’un autre.

Le droit coutumier
L’autre moyen qui permet aux relations de rester dans le cadre de la non violence physique est le système de droit coutumier . Ainsi que je l’ai déjà mentionné le processus judiciaire est formellement organisé en une séance durant laquelle les litiges sont discutés abondamment puis un jugement est rendu par un spécialiste de droit coutumier, un « juge » ou « arbitre » . La procédure n’est pas exactement la même partout. Je l’ai surtout étudiée dans les groupes des hautes terres. Là les gens sont particulièrement procéduriers. La procédure consiste essentiellement à entendre les plaignants et leurs éventuels « avocats » ainsi que tous les témoins possibles durant des heures. Outre leur longueur, les débats sont aussi caractérisés par l’usage d’un langage juridique assez spécialisé. Tout se passe en public et rien n’est écrit. Les litiges portent sur des vols (de poulets, de légumes) des cas d’adultère, de divorce, de captation de femme, de médisance, de blessure causée par un piège à sanglier, de manquements aux bonnes manières, à l’adat au sens général de comportement conforme à la bonne conduite. On distingue les affaires ordinaires des affaires qui « peuvent entrainer l’homicide » (kebubunuq), essentiellement des affaires d’inceste
Je me suis rendu compte qu’un grand nombre de cas opposait des alliés, notamment le gendre et le beau-père. Or le juge donnait immanquablement raison à ce dernier. Finalement, sauf exception, l’issue du jugement était contenue dans la relation préalable entre les parties : d’un côté le gendre ou allié de position subordonnée, de l’autre le père ou l’oncle de l’épouse, forcément gagnant parce qu’allié de position supérieure. Le doit coutumier Palawan n’existe pas entièrement dans une sphère de normes abstraites mais prolonge les vecteurs des relations définies par la culture et la parenté. Cela dit, un juge peut mettre à l’amende son propre frère et l’obligation d’impartialité est clairement appliquée.
L’esprit de cette forme de justice est de toujours restaurer la paix et l’entente entre les parties en litige qui sont, on le rappelle tant et plus, des parents, consanguins et alliés: cousins, frères et sœurs, parents et enfants, beaux-frères, même si on donne à ces termes une acception plus élastique. Il y a des différences dans la jurisprudence d’une localité à l’autre et les juges ne se ressemblent pas ; certains sont plus sévères, d’autres plus indulgents, mais c’est l’indulgence et le pardon qui sont toujours mis en avant comme étant les qualités principales du juge. Les amendes ne sont pas données en général à la première infraction. On lui préfère un « enseignement », une « leçon » au cours de laquelle l’éventuel coupable est dument et longuement sermonné. J’ai récemment entendu, sur la côte Est, un jeune homme qui revenait de la côte Ouest me dire ne pas vouloir habiter de ce côté-là de l’île car les juges étaient trop sévères. « On punit tout de suite » disait-il.
Au vrai, je pense que ce système de justice et tout cet appareil judiciaire est en fait d’origine extérieure et n’a du s’imposer que dans les cent dernières années. Un élément de preuve se trouve dans le vocabulaire : les termes principaux, tels que sara, « justice », ukum, « juge », bitsara, « discussion, procès, affaire », et d’autres encore sans doute, sont des termes qui viennent de l’arabe (sharia, hukum) ou du malais (bicara, berbicara). Une plus importante raison de croire au caractère emprunté de cette institution est que dans la pratique elle fait preuve d’une éthique de rapprochement et d’harmonie. La notion de punition est secondaire, voire même rejetée par la norme d’indulgence en vigueur. Au cours de la discussion l’objectif affirmé est de « rapprocher », « faire aller ensemble » les parents et les voisins. La clé de voûte de ce système de représentations normatives est encore l’ingasiq, la compassion, la compréhension indulgente, la tendance au pardon.
Deux éléments en tout cas sont ancrés dans ce qui constitue le fond de la culture Palawan : l’autorité morale des anciens (de ce point de vue le juge est un ancien) et le goût de la parole. Tout repose sur un discours élaboré, détaillé, scrupuleux de chaque détail, répétitif, au cours duquel toutes les parties, témoins, plaignants, intermédiaires, juges, parlent tour à tour. Chaque élément de l’affaire est scruté, évalué, tourné et retourné dans tous les sens. L’un des effets de ce flot verbal est de saturer l’affaire par un trop-plein d’information. Quand le juge « tranche » l’affaire, il doit alors recourir à des subtilités juridiques pour tenter de donner raison à tout le monde.
Il y a donc incontestablement de la transcendance dans ce processus judiciaire palawan. L’autorité du juge doit être respectée et au stade préliminaire des palabres les parties en cause doivent formellement reconnaître cette autorité et déclarer s’y soumettre absolument. Enfin l’autorité ultime des ancêtres et même de la divinité suprême, Ampuq, sanctionne la loi, adat.
Ce système est très efficace et permet en effet d’éviter les conflits violents et de mettre un terme à des querelles qui, peut-être, continuent à couver souterrainement mais ne donnent jamais lieu à des vendetta sanglantes. La situation de non-violence endémique est donc bien le résultat de l’application du droit coutumier.

Mariage, rire et plaisanterie
Un des aspects importants de l’institution judiciaire Palawan est qu’elle est une arène où le talent oratoire se donne libre cours. Cela est surtout vrai des groupes des hautes terres. Or l’un des moments forts de l’institution est constitué par la discussion qui formalise et entérine l’union conjugale. Cette discussion de mariage met en présence les représentants du fiancé et ceux de la fiancée. Ces représentants ou porte-parole sont également des juges, spécialistes de droit coutumier. Toute la première partie de cette discussion est une sorte de préalable à l’interrogatoire des principaux intéressés, relativement à leurs sentiments réciproques, puis aux dispositions sur le montant de la prestation matrimoniale et autres points pratiques. Il faudrait dire plus exactement que ce long préambule est un rituel oratoire qui en lui-même scelle l’union et lui confère une approbation publique.
Mais dans leur contenu les échanges de propos qui constituent ce préambule ou cette ouverture de la discussion ont un caractère totalement ludique et manifestent un humour au second degré dont la fonction m’a longtemps intrigué et laissé perplexe.

Le représentant de la fiancée qui est aussi le représentant du lieu où se déroule la cérémonie (du fait de la règle de résidence uxorilocale c’est le fiancé et sa famille qui ont fait le déplacement) ouvre la discussion par une question : pourquoi tant de gens sont-ils présents ? pourquoi cette foule de personnes assemblées ? dans quelle intention ? est-ce pour venir massacrer les habitants de ce lieu, brûler leurs maisons ? Ou alors quoi ? ces gens se sont perdus en chemin et viennent demander dans quelle direction aller? que veulent-ils ? faire la guerre ? se livrer au pillage? demander leur chemin ?
Le représentant du fiancé répond alors : si tout ces gens sont réunis c’est parce qu’un accord a été conclu, quelque chose a été décidé, l’autre jour, avant ; non ce n’est pas pour faire la guerre mais pour se procurer quelque chose. Quant à aller ailleurs, pas question.
Ainsi donc, poursuit le représentant de la fiancée, c’est ici prétendez-vous que ces gens ont affaire, vous parlez d’un accord, mais quel accord, quel est son objet ?
Cet accord, reprend le représentant du garçon, concerne un poulet, ou plutôt une poulette, une jolie poulette blanche…
Tu veux donc t’occuper d’un poulet ?
Oui, un poulet, c’est cela notre accord, une poulette je veux l’attraper, je veux la prendre
Eh bien dans ce cas, moi, dit le représentant de la fille, je ne savais pas cela, j’ignorais tout de ce poulet…
A vrai dire, précise le porte-parole du fiancé, il ne s’agit pas vraiment d’un poulet, mais d’une personne, elle, la jeune femme, la fiancée…
Tu veux parler de ma sœur ? lui demande le représentant de la fille (qui fait semblant de tomber des nues), mais alors là, quel embarras ! quelle gêne ! nous allons nous fâcher… car vous ne connaissez pas encore mes habitudes, mes mauvaises manières. En effet, je demande qu’on me paie, je mets à l’amende, je punis, j’exige de l’argent, et d’ailleurs je demande aussi une vache et du riz. Ainsi je ne peux pas accepter votre proposition, …
Peu importe, s’écrie le représentant du fiancé, même une vache, même plus, car pour nous il faut respecter notre promesse de mariage, pour le reste nous nous soumettons tous à votre jugement
Eh bien, je vous plains, dit le porte-parole de la fiancée, parce que je vais vous infliger une amende, vous faire payer des sommes exorbitantes, une vache, un grand sac de riz, deux cents Pesos, mais ce n’est pas tout. Le pire c’est elle, la fiancée : elle est stupide, elle a mauvais caractère, elle est paresseuse et donc, qui la voudrait pour femme ? Quand bien même vous seriez prêts à payer l’amende, pour ce qui est de la fille, de son caractère, de ses dispositions, là ce n’est plus possible….

Les propos que je viens de résumer constituent un très long discours alterné, beaucoup plus verbeux et prolifique que cette brève esquisse (Macdonald 1974). Il recourt à toutes sortes de figures de style, métaphores, allusions, circonlocutions et indirections. Il s’agit d’une joute verbale, d’un jeu de cache-cache semé de faux quiproquos et de malentendus artificiels. Les orateurs se renvoient la balle dans le rire et l’amusement général. L’idée est que l’objet de la rencontre soit progressivement précisé pendant que les représentants de la jeune fille font semblant de n’en rien savoir et de rejeter toute avance sous des prétextes farfelus, notamment en incriminant les supposés défauts de caractère de la fiancée. Ce détail est un des plus révélateurs de l’éthique Palawan. La discussion se poursuit par d’interminables déclarations de bonnes intentions (agir selon la coutume, respecter les décisions du juge) et protestation de bons sentiments avant d’aborder la séance de questions aux fiancés et aux parents, de régler le montant exact de la prestation, d’adresser une prière aux défunts proches et inévitablement de sermonner les nouveaux mariés et leur rappeler leurs devoirs respectifs.
Il est frappant de constater que la quantité d’information contenue dans l’ensemble de la discussion est minime. L’accord a été discuté auparavant, les conditions sont plus ou moins déterminées d’avance (en ce qui concerne le montant de la prestation matrimoniale). L’assentiment des uns et des autres a été acquis. Cette longue palabre a pour fonctions de mettre au point certains détails (comme le retour de la prestation en cas de divorce), de rendre publique l’union des jeunes gens, de s’assurer publiquement du consentement des fiancés et de leurs parents et enfin et surtout de ritualiser l’événement de façon verbale et ludique. Les échanges de propos que j’ai transcrits approximativement ne sont finalement qu’une sorte de vaste blague, de grosse plaisanterie, de jeu verbal qui provoque l’amusement. Loin d’être, comme je le prévoyais à tort, une sorte de marchandage ou de négociation serrée sur le montant de la prestation exigée du fiancé et de ses parents, l’essentiel du discours n’a qu’une fonction phatique –comme disait Malinowski–, une fonction expressive qui a pour but de rapprocher les interlocuteurs et leur auditoire dans une communauté de sentiments, dans une complicité amusée et une sorte de convivialité humoristique. Dans la cérémonie qui suit il y aussi un épisode grotesque qui est censé produire de la gaieté (Macdonald 1972). On a pu également interpréter des propos de ce type dans une culture tout à fait semblable, les Tiruray, (Schlegel REF) comme une sorte de code renvoyant à un contenu informationnel précis et univoque. Je ne crois pas qu’il s’agisse d’une très bonne interprétation. Dans tous ces propos on reste dans le flou d’une gaudriole généralisée.
Je vois donc dans la connivence créée par cette rhétorique farceuse, par cet interminable badinage verbal, une des dimensions fondamentales du mode de vie AG, dans la mesure où à l’évidence il suscite les conditions de félicité propices au rapprochement des parties en présence.

Le rire et l’humour grivois
Un aspect encore sous-estimé d’une culture de ce type est sa propension à faire ostentation d’un humour scabreux, d’une habitude de la plaisanterie, particulièrement des plaisanteries grivoises, de l’extrême gaieté que procurent des piques ou des références à la vie sexuelle des interlocuteurs et de leurs proches. Bien qu’il s’agisse d’une forme d’humour que nous pratiquons nous-mêmes, une grande différence sépare sa pratique chez les Palawan de la nôtre.
Dans une conversation, Robin Fox me rappelait que l’ethnologie classique interprétait les références d’ordre sexuel comme des symboles de fertilité, et restait aveugle à son potentiel de joyeuseté et de pure clownerie. A cela s’ajoutait (et s’ajoute encore reconnaissons-le) la pruderie de la plupart des ethnologues dont certains censuraient carrément ces références comme trop choquantes pour la morale . Enfin, nous avons déjà longuement insisté sur le caractère implacablement sérieux et austère de tout ce qui est social et religieux, sur la « valeur providentielle de la souffrance » (Sahlins REF). L’homme est un être porté au vice et au désordre que seule la civilisation peut réformer et assagir par des interdits et des devoirs. Il n’est qu’un petit paysan mal élevé que seule peut discipliner la férule de l’instituteur ou, mieux, du sociologue. Le sombre travail du social ne peut être pollué par de la gaudriole et le rire, comme nous l’apprend le roman de Umberto Eco, Le Nom de la Rose, est subversif et contraire à la piété. La bouffonnerie et la pitrerie ne sont tolérées qu’à titre cosmétique et dans les interstices du tissu social. Ces préjugés contraires à l’esprit scientifique ont empêché de comprendre un aspect essentiel des relations interpersonnelles et du rôle du comique dans l’organisation des collectifs. Il faut donc rendre à ces comportements la place qu’ils doivent avoir dans une théorie des organisations humaines.
Tout d’abord les Palawan sont des gens qui sont portés à des accès de fou rire et à des démonstrations de gaieté bruyante et répétée. Mais leur rire n’est pas fondé sur le sarcasme. En tout cas ils rient beaucoup. J’ai trouvé dans l’ethnographie des Inuit des descriptions qui m’ont rappelé de façon frappante les manifestations joyeuses des Palawan. Lorsqu’ils jouent ou qu’ils chantent les Inuit font preuve, écrit un observateur de la plus extrême joyeuseté, en sautant sur place, gloussant de rire, se tapant sur les cuisses, poussant des cris de joie, se contorsionnant et bondissant sous l’effet d’une hilarité irrépressible (Lantis 1946 REF). Un autre observateur raconte qu’il arrive au cours de danses pendant lesquelles les hommes et les femmes se ridiculisent mutuellement, mais de façon affectueuse, que « tout le monde est si mort de rire que plus personne ne peut danser » (Ager 1976 REF) . Ces expressions d’intense gaieté et d’hilarité sans borne sont fréquentes dans le monde Palawan et ailleurs aussi.
L’une des fonctions du rire peut être d’aplanir des différends et résoudre des conflits comme cela a été décrit précédemment pour le duel verbal chez les Inuit. D’autres peuples, comme les Paliyan de l’Inde du sud, un groupe de type AG lui aussi, utilise le comique mais particulièrement le comique obscène pour restaurer la paix (Gardner, 2000 REF). Il faut donc revenir à la dimension obscène et grivoise, au sens de l’utilisation de références et d’images d’ordre sexuel et également scatologiques.
Les blagues cochonnes font rire les Palawan, mais nous aussi. La différence tient au fait que chez nous les références d’ordre sexuel ressortissent à un interdit, apparaissent comme contraires à la bienséance. En outre, les références sexuelles sont insultantes. Nos jurons et nos insultes (domaine excessivement instructif pour l’ethnologue) ont pour la plupart une dimension sexuelle ou génitale (« enculé », « fils de pute », « con », « connard », « va te faire foutre », etc.). Or les insultes et les invectives en palawan ne sont pas basées sur une référence sexuelle. Le sexuel et le génital n’ont aucune connotation péjorative. Les insultes sont par exemple « peste » (c’est-à-dire « que la peste soit sur toi ») ou « sois dévoré par le crocodile ». Ce sont des vœux de mort. D’autre part les plaisanteries obscènes et blagues grivoises sont toujours dites en public, ne font l’objet d’aucune précaution d’étiquette, ou de remarque négative, et les oreilles des femmes et des enfants n’en sont nullement épargnées. Il n’ya donc pas de sens de l’interdit. L’obscénité ou la grivoiserie ne constituent pas, comme chez nous, des transgressions, même sans gravité. Mais ce laxisme verbal ne s’accompagne pas de promiscuité et, paradoxalement, les Palawan sont assez stricts, voire puritains, dans leur comportement sexuel.
J’ignore pourquoi le rire est provoqué par l’obscénité, pourquoi les références sexuelles amusent. Cela me paraît mystérieux, mais en tout état de cause le résultat est là et il est attesté dans une immense majorité de cultures, peut-être toutes. Ce qui est essentiel c’est que pour les Inuit, les Paliyan et les Palawan, le rire est le fondement de la paix. Un informateur me disait « si tu ne plaisantes pas, c’est que tu es en colère » et être en colère c’est vouloir tuer.
Je souhaiterais vous montrer l’extrait d’un film réalisé par mon collègue Pierre Boccanfuso. La scène se déroule dans un marché dans le sud de l’île, à Palawan. Un « ancien », arbitre de droit coutumier respecté, et guérisseur à ses heures, fils lui-même d’un très grand chaman, arrive au marché où est rassemblée une foule de badauds et de chalands. A peine arrivé sur la scène cet homme vénérable se met à s’exclamer qu’il a senti un parfum de femme et que cela le rend fou de désir. D’ailleurs il aperçoit sa petite-fille et déclare sans ambages qu’il a une envie irrésistible de commettre l’inceste. Tout le monde se tord de rire. Une vieille dame présente dans l’assistance, réputée avoir été l’amie de notre blagueur, est apostrophée. A-t-elle couché avec lui ? ah dit-elle non, son sperme sentait trop mauvais ! autre accès d’hilarité généralisée dans l’assistance. Je dois dire que la traduction littérale de ces propos me paraissait délicate. Elle aurait choqué un public occidental. Comme j’assurai la traduction de la bande son pour la post-production, j’ai du me livrer à des corrections de langage et des atténuations dans les expressions pour faire passer la scène.

[extrait de film « les Deux fils du Chamane »]

Conclusion
L’élément grotesque –pour évoquer la dimension carnavalesque analysée par Bakhtine—est donc présent au sein du quotidien (une rencontre, une scène de marché) comme dans les occasions « sérieuses » qui consacrent un mariage. J’y vois une confirmation de l’hypothèse selon laquelle les conditions de félicité de la vie collective en régime AG reposent en grande partie sur la gaieté, l’humour, le rire, et particulièrement ce qui le provoque, l’obscénité, la grivoiserie et les références sexuelles. La dimension comique et de « mise en boîte » mutuelle qu’assument ces manifestations traduit la nature immanente des relations et leur actualisation dans un interface qui les reconduit et les revivifie, assurant ainsi la fonction d’un liant collectif, qui doit être sans cesse réactivé. Nous sommes bien dans une problématique de renforcement permanent de « liens faibles ».

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